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1939-1945. Evènements, (Eugènes Martres)

Le Lycée Emile Duclaux ne pouvait pas rester en dehors des évènements et des soubresauts de la société civile.

Transformé en hôpital militaire pendant la guerre 1914-1918, il connut alors les convois pitoyables de grands blessés exsangues dont les douleurs avaient été avivées  par le long trajet chaotique en chemin de fer. Ils arrivaient épuisés, torturés par les souffrances, les pansements souillés et fétides. Un des convalescents, lors d’une sortie autour du square, se heurta à un officier trop exigeant. Des soldats puis des civils intervinrent et l’altercation dégénéra en une sérieuse émeute à travers la ville.

En 1939 les bâtiments du lycée furent une nouvelle fois dévolus à l’autorité militaire mais la défaite de 1940 coupa court à l’occupation réelle des locaux.

Pendant la période de l’Etat Français de Vichy (1940-1944) et de l’occupation allemande (1942-1944), cet établissement ”laïque” fut suspecté de tiédeur, puis d’hostilité envers le pouvoir et placé sous surveillance. Mais l’ensemble du personnel, largement fidèle aux idées républicaines résista aux enquêtes de police. En mai 1943, le commissaire aux Renseignements Généraux rendait compte : ”Les milieux du lycée Emile Duclaux sont très fermés. Impossible d’obtenir des renseignements”. Une protestation du proviseur contre cet empiètement mit un terme à la surveillance.

Les effectifs du lycée furent alors grossis du repli en Haute-Auvergne de jeunes gens d’origine cantalienne dont les parents avaient jadis émigré  vers la capitale. On pensait à bon droit que le Cantal serait une zone de calme à l’abri des malheurs de la guerre.

Les élèves-instituteurs fournirent une deuxième vague d’entrée au lycée. Vichy avait supprimé les écoles normales, ”foyers de perversion”, et avait versé les futurs instituteurs dans les lycées.

Enfin nous vîmes arriver dans les établissements scolaires fils et filles de parents recherchés, persécutés ou suspects : résistants francs-maçons, étrangers, communistes ou supposés tels, et surtout israélites. L’immersion de ces jeunes au lycée en tant qu’internes (ou pensionnaires) les protégeait assez bien des dangers extérieurs. Car un personnage veillait sur leur sécurité avec efficacité et discrétion : le censeur Tongas. Géant débonnaire, résistant, il recevait et filtrait tous ceux qui s’intéressaient de trop près à ses élèves en situation délicate. D’ailleurs certains de nos camarades étaient inscrits au lycée sous des noms d’emprunt aryanisés : l’élève Léon se révéla en fait le fils Salomon. Sur ce point le Lycée Emile Duclaux différa diamétralement du lycée de jeunes filles. Dans cette ”oasis de relative sécurité,” bien des jeunes réprouvés purent poursuivre leurs études. Notre camarade Kaminski subit les épreuves du baccalauréat le 3 juin 1944 sous son vrai nom. (Il fut brillement reçu) Trois jours plus tard, les gendarmes avertissaient sa famille qu’elle état recherchée et les Kaminski se terraient pour l’été dans une maison abandonnée de la haute vallée du Brezons.

Mais tous n’eurent pas la même chance. Des élèves du lycée, israélites ou non, furent pris, dans des rafles, dans des arrestations ciblées, dans des actes de résistance. Déportés ils ne sont pas revenus, victimes de l’holocauste (Fiskus, Lévy-Lambert, Louvegez, Rosemblit).

Le gouvernement de Vichy avait supprimé certaines commémorations nationales (le 11 novembre)et célébrait solennellement d’autres dates, par exemple la fête Jeanne-d ‘Arc en mai. La cérémonie du 9 mai 1943 avait réuni autour du square toutes les autorités de l’époque. Au moment du défilé, les délégations scolaires, élèves et le surveillant du lycée Emile Duclaux provoquèrent un scandale par leur attitude contestataire, tournant en dérision cette journée nationale. Les réactions administratives furent immédiates et sévères. Tous les participants subirent un interrogatoire serré, furent consignés et le surveillant fut révoqué : ”faisant les frais de l’hostilité du régime envers le lycée” (d’après une lettre saisie par la censure).

En juin 1944 d’autres camarades, surveillants et professeurs, gagnèrent le maquis et allongèrent la liste des victimes (Contensou).

Devant la plaque des morts de la guerre 1939-1945, apposée à l’entrée du lycée (et sur laquelle pourraient figurer deux ou trois autres noms, interrogez-vous sur les lieux où sont tombés ces martyrs : vous irez de Dunkerque au Mont Mouchet en passant par l’Italie, la Provence et l’Alsace.

En ces années de malheur, les lycéens s’étaient impliqués dans l’action pour des valeurs qui leur avaient été enseignée. Le lycée Emile Duclaux, son personnel, ses élèves peuvent en tirer quelque fierté.

Eugène Martres