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Elections présidentielles au pensionnat
Par Christian Maurel.
En ces jours d’automne 1965, les discussions allaient bon train entre les élèves des classes de terminales du Lycée Emile Duclaux d’Aurillac On parlait des élections présidentielles. La campagne battait son plein. Les candidats étaient nombreux pour ce premier tour : François Mitterrand, Jean Lecanuet... quelques autres, et bien sûr le Général de Gaulle.
Pour les pensionnaires, les informations étaient rares. Que pouvaient-ils connaître des programmes des candidats alors que la lecture des journaux leur était totalement interdite ? Ils ne savaient que ce que leurs camarades externes pouvaient leur en dire du moins ceux qui lisaient les journaux, regardaient la télévision ou avaient la chance d’en parler en famille.
D’une manière générale, les enseignants ne parlaient pas de l’actualité politique. Souci de laïcité, d’ob- jectivité, de neutralité...
Quand les questions étaient posées et que les élèves s’interpellaient, immanquablement leur professeur de philosophie s’écriait, avec l’emphase liée à sa fonction : « que les flots boueux de la politique s’arrêtent aux portes du temple de la pensée ! » Cependant, il appelait régulièrement les élèves à la raison critique, à l’engagement et à la responsabilité.
Leur professeur d’histoire, de son côté, leur avait longuement parlé de la guerre d’Espagne, de la Résis- tance dans le Cantal, dont il était déjà, un spécialiste, du fonctionnement de la Bourse et surtout, de l’affaire Ben Barka dont tout le monde parlait à ce moment-là.
Le premier tour de l’élection présidentielle approchait. Les candidats allaient présenter leurs programmes pour la dernière fois à la presse. Dans une réunion improvisée dans la cour, les élèves pensionnaires déci- daient de mandater une délégation qui irait négocier auprès du proviseur le droit d’entendre les candi- dats le soir même à la télévision.
La délégation fut rapidement constituée : les « chefs de classe » des internes des élèves de Terminales (Philo, Sciences ex et Mat élem ) renforcés par un élève reconnu par tous pour son charisme et sa capacité d’argumentation.
Maintenant, il s’agissait d’obtenir le rendez-vous, et pour cela, de remonter toute la hiérarchie : surveillant général, censeur, proviseur enfin. Par un surveillant, on apprit à 19 heures, au repas du soir, que la délégation serait reçue à 19h30.
Après le repas, la délégation entrait dans le bureau du proviseur. Le chef de classe de Philo formula la demande, et tous attendirent la réponse du chef d’établissement, solidement installé dans son fauteuil. C’était non, et sans explications.
Les élèves n’en restèrent pas là. Ils avaient décidé d’argumenter. Les externes avaient le droit de savoir, de lire les journaux, de regarder la télévision. Et les pensionnaires n’avaient pas ce droit, ce n’était pas juste. De plus, la politique, ça les concernait aussi, même si aucun d’entre eux, n’avait encore le droit de vote, fixé à ce moment-là à 21 ans. On ne pouvait pas en même temps apprendre ce que sont les Droits de l’Homme et du Citoyen, la résistance à l’opposition, l’esprit critique, la nécessité de s’engager pour des causes justes, et n’avoir soi-même aucun droit, même pas celui de savoir.
Rien n’y fit. Le proviseur expliqua que c’était inutile, qu’ils n’étaient pas en droit de voter, et que par conséquent ça ne les concernait pas, et qu’ils étaient là pour faire des études et non de la politique, et qu’en plus, ultime argument, les partis politiques cherchaient à manipuler la jeunesse, ce qui était into- lérable, tant pour les parents que pour l’administration.
La montre tournait, et l’heure de l’émission approchait. La dernière estocade ne changea rien- on avança que les élèves attendaient dans la cour d’honneur du Lycée et qu’on ne pouvait prévoir leur réaction en cas de refus et déclencha la colère du proviseur qui se fit menaçant : même l’année du bac, on pouvait exclure des élèves, et puis à cette heure-là, on devait déjà être en étude du soir.
La délégation quitta le bureau. Les pensionnaires des classes terminales attendaient dans la nuit froide et noire, les poings serrés au fond des poches de leurs blouses. On expliqua que la demande était refusée, et on en donna rapidement les raisons. A peine un léger brouhaha et les élèves firent demi-tour pour regagner leur salle d’étude accompagnés de leur surveillant d’internat.
Une fois de plus ils n’avaient rien obtenu. On dirait aujourd’hui que l’initiative des élèves était une démarche citoyenne. Ils considéraient en effet que les problèmes politiques devaient être les problèmes de tout le monde, et qu’ils avaient le droit de s’occuper des choses dont l’administration disait qu’elles ne les concernaient pas.
Enfin, leur volonté collective visait à produire du droit, droit au savoir, droit à l’information.
Christian Maurel.
Ndlr : la rédaction précise que ces avis n’engagent que leur auteur.