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A vos plumes 2017 (17 ème édition) (2)
A vos plumes 2017 (17 ème édition)Ce concours de nouvelles est réservé aux seuls élèves du Lycée Emile Duclaux. Cette année, dix-sept jeunes talents ont tenté leur chance. Après sélection par les professeurs de Français et les groupes de lecture, dix nouvelles ont été retenues, puis soumises à l’appréciation des membres du jury chargé d’établir le palmarès.
Marie Daguzon et André Balthazar faisaient partie de ce jury présidé par l’auteur Henry-Noël Ferraton.
Les différents prix :
- Ce jury est chargé d’attribuer au moins trois prix :
- Le Grand Prix « A vos plumes », nouvelle qui obtient le plus de votes.
- Le Prix Spécial du Jury (ou Coup de Cœur du jury)
- Le Prix Jeune Talent, récompense le meilleur jeune auteur (élève de moins de 16 ans).
- A l’issue des votes, deux prix spéciaux sont attribués par les représentants de deux instances du Lycée :
- le prix de l’Amicale des Anciens et le prix de la Maison des Lycéens.
Devant l’originalité et la diversité des sujets abordés, la qualité de tous les textes, les délibérations ont été longues et les choix difficiles. Le jury a finalement établi le palmarès suivant :
v Grand Prix « A vos plumes » : « Jules » de Louise Woitrin (2de 3)
v Prix Spécial du Jury : « Le garçon aux cheveux noirs » de Juliette Hiault (T S2)
v Prix Jeune Talent : «Un verre de trop » de Théo Gaston (2de 2)
v Prix de l’Amicale des Anciens : « Dans sa peau » de Mathilde Genot (2de 3)
v Prix de la Maison des Lycéens : « Courir» de Solal Moins-Raphanel (1ère L)
- Les lauréats du concours « A vos plumes » ont été récompensés Jeudi 18 Mai
Publication : LA MONTAGNE le 19/05/2017
© Photo Renaud Baldassin : Les cinq lauréats et les membres du jury
« L'auteur Noël Ferraton, président du jury cette année, a lu à cette occasion le texte qu'il a rédigé en préface du recueil comprenant les nouvelles en compétition, et dans lequel il félicite l'audace des jeunes auteurs. « Vous nous exprimez […] vos souhaits de donner un sens à un monde où l'on voudrait vous confiner dans un simple rôle de consommateur. »
Pratique. Le recueil A vos plumes est disponible à la librairie Point-Virgule d'Aurillac ».
Hélène Meignin - La Montagne
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Prix de l’Amicale des Anciens : « Dans sa peau » de Mathilde Genot (2de 3)
Dans sa peau
Il était une fois, dans une contrée lointaine, une licorne multicolore aux pouvoirs grandioses et aux amis papillons magi...
Bon, OK, j’arrête mes bêtises. Je m’appelle Damien Pinard. Et je tiens à remercier mon père ainsi que ses ancêtres, grâce à qui j’ai hérité de ce magnifique nom qui me vaut les intelligentes moqueries de mes gentils camarades de classe depuis le CM1. Au jour d’aujourd’hui, j’ai exactement 15 ans, 3 mois et quelques jours. Je suis rentré dans la classe de Seconde Pierrot du lycée Victor-Hugo, il y a tout juste une semaine, et je m’y sens aussi bien intégré qu’un Marseillais chez les Parisiens et vice-versa.
Raisons à peu près évidentes de mon non-accueil chez les Pierrots : premièrement, mon nom de famille pourri, qui est en effet très différent de celui du bad boy de la classe, Alex.
« Oh my god, "Vertefeuille", comme Legolas dans Le Seigneur des Anneaux, quoi ! », s’était écriée Helena Deblodesse, alias la fille au chewing-gum, une belle blonde aux longues boucles, le premier jour de cours.
Deuxièmement, mes centres d’intérêt qui diffèrent fortement de ceux des autres Pierrots. Je passe mon temps à lire, alors que les filles passent leur temps à parler garçons et maquillage, tandis que les garçons passent leur temps à parler sport et jeux vidéo. Ce qui n’est, comme vous pouvez le constater, cher lecteur, pas très pratique pour entamer une conversation avec quelqu’un.
Troisièmement, je crois que je ne suis pas attiré par les filles. Et visiblement, les autres Pierrots l’ont remarqué, comme le montre leur « Damien le pédé » à tout bout de champ.
Et dernièrement, je suis bon élève. Vous pensez que ce n’est pas une raison, cher lecteur ? Pourtant, les regards noirs que m’ont lancés certains Pierrots lorsque mes professeurs de français, histoire-géographie et mathématiques m’ont félicité pour mon DNB obtenu avec mention très bien prouvent le contraire.
Bref, une magnifique année de seconde s’ouvre devant moi, ce qui est très encourageant d’ailleurs. Comme j’ai hâte !
Donc, en ce lundi 9 septembre 201X, j’avance tranquillement dans les couloirs de ce cher Hugo, quand le grand et aimé de tous Alex Vertefeuille, suivi par un de ses amis rondouillard et peu intelligent, m’interpelle (Oh my god, comme aurait dit mademoiselle chewing-gum).
– Tiens, mais c’est notre ami le gay ! Comment ça va ?
– Nickel, et toi ?
– T’es trop débile, en fait. Tu penses sérieusement que je m’inquiète pour ta santé ?
– Non, pas le moins du monde. J’essaie juste d’être poli.
– Ouais, t’as raison, une vraie Polly Pocket !
Rondoudou pouffe de rire en entendant la super blague de son supposé ami. Il me fait penser à un cochon.
– Bon, on se voit tout à l’heure en maths, Polly !
Sur ces mots, les deux compères me laissent seul dans le couloir pour rejoindre leur bande d’amis, tout aussi intellectuels qu’eux, d’ailleurs. Je pousse un soupir un peu tristounet, puis je sors du bâtiment mon livre à la main et vais m’asseoir dans le coin de verdure derrière le lycée. Une fois que je suis installé confortablement, j’ouvre mon bouquin au chapitre auquel je m’étais arrêté la dernière fois, et reprends ma lecture pour mon plus grand bonheur. Cela fait depuis hier après-midi que je suis en plein dans ce thriller de Jo Witek qui parle d’un adolescent qui a des doutes concernant sa mère devenue étrangement possessive depuis la mort de son mari. Je trouve le héros particulièrement intéressant.
– Qu’est-ce que tu lis ?
Je sursaute légèrement, puis lève le nez de mon ouvrage, surpris. Penchée en avant au-dessus de mon livre, une fille de mon âge dont le sourire laisse apparaître les bagues argentées. Ses cheveux roux clair, presque blonds, sont relevés en une haute queue-de-cheval raide à l’aide d’un élastique turquoise. Ses yeux sont d’un marron très doux et ses tâches de rousseur éparpillées sur ses joues pâles lui donnent un air enfantin. Comme je ne lui réponds pas, elle répète sa question, en gardant son sourire.
– Hey, qu’est-ce que tu lis ?
– Un thriller.
À mon grand étonnement, elle se met à chanter la célèbre chanson de Michael Jackson, en faisant quelques mouvements de la chorégraphie du clip. Remarquant soudain mon regard interrogateur, elle s’arrête et prend un air gêné, bien qu’à mon humble avis elle ne le soit pas du tout.
– Ah, excuse-moi, c’est juste que j’adore cette chanson, ça m’y a fait penser !
– Oui, je comprends.
– Il est épais, ce bouquin ! Tu l’as commencé quand ?
– Hier après-midi.
– Wow, tu lis vite !
– Merci, je prends ça pour un compliment.
– Évidemment que c’en est un ! Tu es en quelle classe ?
– Je suis chez les Pierrots. Et toi ?
– Seconde Éden ! J’ai pris option théâtre ! Et toi ?
– Pas d’option pour moi. Ça rajoute des heures de cours et du travail en plus, j’en ai déjà bien assez comme ça.
Elle se met à rire naturellement, et tandis que je la regarde, je ne peux m’empêcher de penser que si j’étais hétéro, je serais très certainement tombé sous son charme. Son physique très avantageux et sa bonne humeur contagieuse doivent pour sûr attirer pas mal de lycéens.
Soudain mes pensées deviennent négatives. Pourquoi cette bombe vient me parler avec cet air joyeux ? Est-ce parce qu’elle a lancé un pari stupide avec ses copines canon ? Ou bien elle n’a encore aucun ami et elle vient voir un pauvre mec solo pour ne pas être seule et impopulaire comme une idiote ?
– Tu ne lis que des romans ?
– Non, je lis de tout. Mais principalement des romans.
– Tu lis des mangas ?
Je distingue des étoiles dans ses yeux. Visiblement, elle, elle en lit, des mangas. Et elle a l’air d’aimer ça.
– Je ne suis pas un grand fan, mais j’en lis de temps en temps.
– Youpiiii !! Tu as lu quoi ?
– Hum... Tokyo Ghoul, D. Gray-Man, L’Attaque des titans, Red Eyes Sword... J’ai aussi lu quelques tomes de One Piece et de Naruto, mais c’est tout je crois.
– Génial ! Je suis trop heureuse ! Personne dans ma classe ne lit de mangas ! Ça fait plaisir de rencontrer quelqu’un qui en a lu au moins quelques uns !
Vu l’énorme sourire qu’elle arbore, je commence à deviner qu’elle est en train de me parler de sa passion. Ou alors elle joue extrêmement bien. Ce qui ne m’étonnerait absolument pas, étant donné qu’elle a choisi l’option théâtre. Elle continue à me parler de BD japonaise pendant quelques minutes qui me paraissent des heures, et comme elle garde son immense risette, je finis par croire que c’est réellement sa passion, et qu’elle est venue me parler de son plein gré. Je l’écoute encore quelques secondes, puis l’interromps d’un coup.
– Pourquoi tu viens me parler ?
Quel idiot. J’aurais pu poser la question différemment. Là, elle va croire que ça me saoule qu’elle vienne me voir.
– Enfin, je veux dire...
– Et toi, pourquoi tu parles à personne ?
Surprise. Je ne m’attendais pas à cette question. Et puis, qu’est-ce que je suis censé répondre ?
– Euh... Ben...
– Il faut en parler à un adulte, tu sais ?
– Hein ?
– C’est bien toi, Damien ? Damien Pinard ?
– Euh... Oui, c’est moi...
– On m’a parlé de toi dans ma classe. Tu te fais harceler, n’est-ce pas ? Il faut le rapporter à un prof ou bien au proviseur, sinon ça va continuer...
Attends, c’est pour ça qu’elle est venue me voir ? Elle me connaît juste de nom et elle s’inquiète pour moi ? Ou alors elle s’est dit qu’en tant que future déléguée de classe, elle devrait aider tous les élèves qui rencontrent des problèmes ?
– Mais pourquoi tu veux m’aider ? On se connaît même pas...
– Je déteste le harcèlement. Il faut vraiment ne rien avoir dans le crâne pour s’en prendre à une seule personne vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
– OK, mais c’est pas tes affaires. Pourquoi tu viens t’en mêler ?
– Je peux pas rester sans rien faire alors que je sais pertinemment qu’un élève souffre tout seul dans son coin.
– D’accord, merci, mais j’ai pas besoin de toi, dis-je en replongeant ma tête dans mon bouquin, alors fous-moi la paix s’il te plaît.
– Pas question. Je vais t’aider. D’ailleurs, je vais de ce pas le dire à un adulte, puisque tu te bouges pas les fesses.
– Pardon ?
Elle me tourne les talons et commence à partir pour se diriger vers le bureau du proviseur.
– Attends, crié-je en me levant, abandonnant mon livre et la rattrapant, qu’est-ce que tu comptes dire ?
– Que tu es victime de harcèlement.
– T’es pas sérieuse ? Je viens de te dire que j’avais pas besoin de toi !
– Si, tu as besoin d’aide, que ça te plaise ou non.
– N’importe quoi ! Je t’ai dit de me foutre la paix !
Sur ces mots, je lui attrape la main pour l’arrêter, quand je sens un horrible picotement et la lâche d’un coup. Je me sens tomber, je la vois tomber, je ferme les yeux, puis les rouvre. Tiens ? Elle n’est plus devant moi.
– Zut ! Elle est déjà partie ?
Je mets mes mains devant la bouche. C’est quoi, cette voix super aiguë ? Je regarde mes mains. Tiens, je n’avais pourtant pas de bracelets au poignet droit... ni ces chaussures... ni ce pantalon... ni ce haut... ni cette... poitrine ? J’avale ma salive. J’ai un mauvais pressentiment... En tremblant, je me retourne, et je vois... moi ?! Oui, la personne en face de moi est vêtue de mes vêtements, ainsi que de ma tête et mon corps. Elle me regarde, aussi surprise et choquée que moi, puis à mon grand étonnement, arbore un magnifique sourire.
– C’est toi, Damien ? me demande-t-elle de ma voix grave.
– Oui, réponds-je, et toi tu...
– On a échangé nos corps ! Je le crois pas ! C’est génialissime ! C’est comme dans Yamada-kun and the 7 Withches !
– Euh... Y’a ma quoi ?
– C’est un manga ! Le héros, Yamada, échange son corps avec Shiraishi, une camarade de classe, pendant qu’il l’embrasse !
– Mais on ne s’est pas embrassés !
– Non, on s’est juste touché la main... mais c’est trop cool ! Je pensais pas que c’était possible !
– Ce qui est plutôt normal, j’ai envie de te dire... Comment on revient comme avant ?
– Aucune idée. Mais attends, je vais essayer un truc !
Je, enfin elle, s’approche de moi, et, avant que j’aie le temps de protester, me donne un baiser. J’écarquille les yeux, puis la repousse aussitôt et m’essuie les lèvres d’un revers de la main.
– Qu’est-ce qui t’est passé par la tête ? Ça va pas ?
– Ben, c’était pour qu’on revienne dans nos corps respectifs. Mais visiblement, ça n’a pas marché, constate-t-elle en voyant le corps qu’elle occupe toujours et qui m’appartient.
– Évidemment que ça n’a pas fonctionné ! On n’est pas dans tes mangas bizarres, là c’est la vie réelle ! Mince, si ça se trouve on est bloqués comme ça pour toujours ! Et imagine si quelqu’un nous avait vus ! Je veux pas qu’après s’être fichus de moi, les gens pensent que je suis hétér...
Zut, la boulette. J’aurais peut-être pas dû dire ça. Je la regarde. Est-ce qu’elle va se moquer de moi comme le font tous les autres, maintenant ? Ou bien s’enfuir en courant, comme si j’avais une maladie grave ? Non. Au lieu de ça, elle pose sa main devant la bouche, comme si elle se rendait compte qu’elle avait fait une grosse bêtise.
– Mince, excuse-moi ! J’avais complètement oublié ! Je suis vraiment désolée, Dam’ !
– Quoi ? Tu le savais ?
– Oui, il fallait avant tout que je sache pourquoi tu te faisais harceler pour le rapporter correctement. Du coup, désolée, j’aurais pas dû t’embrasser de cette façon sans réfléchir, c’était idiot, pardon !
– Euh, non, c’est pas grave, t’inquiète pas...
Cette fille est trop gentille. Je n’ai pas l’habitude de ça. À force de côtoyer des personnes qui nous font souffrir en permanence, on finit vite par oublier qu’il reste encore tout de même des gens comme elle... Soudain, une idée traverse mon esprit. Je ne sais pas vraiment si c’en est une bonne ou non. Mais je n’ai rien à y perdre. Peut-être que ce pouvoir d’échanger nos corps pourrait finalement m’être avantageux. Je me mets à lui sourire d’un coup.
– Dis, euh... Excuse-moi, je ne connais même pas ton nom...
– Je m’appelle Amélie Caron, me dit-elle en souriant. Ravie de te rencontrer, au fait !
– Moi aussi, Amélie. Bon, voilà, en fait... Ça te dirait de rester comme ça toute la journée ?
Elle reste immobile quelques secondes, semblant repasser ma requête à l’intérieur de sa tête plusieurs fois. Puis elle me lance d’un air incompréhensif :
– Euh... Pourquoi tu voudrais faire ça ?
– Ben, en fait, je me suis dit que tu savais peut-être te défendre face au harcèlement, et moi, j’aimerais bien pouvoir sortir avec des garçons sans que l’on me juge ou me critique... Tu vois où je veux en venir ?
– Tu veux dire qu’on se ferait passer l’un pour l’autre en utilisant ce pouvoir, et on pourrait t’aider à mener une vie meilleure et stopper le harcèlement à ton égard ?
– Voilà, c’est ça. Mais je voulais d’abord te demander ton avis. Tu serais d’accord ?
– Ça voudrait dire qu’officiellement, c’est moi qui sortirais avec des garçons ?
– Ah, ça te dérange ? Si tu ne veux pas, je n’insisterai pas.
– Non, c’est pas ça, mais...
Elle est trop gentille. Je sais qu’elle va forcément dire oui. Je commence à la cerner. C’est son caractère, elle n’y peut rien. Elle semble peser le pour et le contre dans sa tête un moment.
– Tu ne comptes pas le faire qu’aujourd’hui, j’imagine ?
– Je ne sais pas. Si ça marche bien, pourquoi pas le faire quelques jours de plus ?
Je la vois hésiter, longuement. Je décide de continuer un peu mon jeu d’acteur :
– Je vois, laisse tomber alors, c’est pas grave. Je me débrouillerai tout seul pour régler mes problèmes, ça ne me dérange pas.
– N... non, attends, je veux bien ! Au moins pour aujourd’hui ! Si c’est la meilleure façon de t’aider, alors je le ferai !
Je souris, content de moi. J’ai réussi.
– Merci. Pour retourner dans nos corps respectifs, on se voit ici après les cours ? Tu finis à quelle heure ?
– À dix-sept heures. Et toi ?
– Seize heures. Je suis interne, tu n’auras qu’à aller en permanence pendant une heure. J’ai de quoi lire dans mon sac, tu pourras t’occuper.
– Okay, ça marche !
– Merci encore.
Plus d’une semaine a passé depuis notre fameuse rencontre, à Amélie et moi. Beaucoup de choses sont arrivées. Dans sa classe, j’ai trouvé tout le monde extrêmement accueillant. Les Éden sont définitivement plus sympathiques que les Pierrots. Je n’ai donc eu aucun mal à me faire passer pour mon amie parmi ses copines, qui étaient par ailleurs très semblables à elle, toujours souriantes et pleines d’énergie. Mais j’ai surtout fait la connaissance de plusieurs types tous plus beaux et attirants les uns que les autres. Je suis d’ailleurs sorti avec quatre garçons différents à ce jour. Ça fait peut-être beaucoup, en une semaine et quelques, mais j’essaie de profiter à fond tant qu’on continue à échanger nos corps. La seule façon de permuter est de nous toucher la main. Nous l’avons découvert après les cours le jour où l’on s’est rencontrés. Et pour mon plus grand bonheur, Amélie a accepté de continuer, même si j’ai dû insister un peu. Elle m’a dit que la situation s’améliorait petit à petit au niveau de mon harcèlement chez les Pierrots. Je verrais bien une fois retourné là-bas. Car cela fait du coup plus d’une semaine que je passe tous mes cours chez les Éden. J’aimerais pouvoir y rester toute l’année, mais je sais pertinemment que cette situation se devra de cesser un jour ou l’autre. Alors je profite. C’est tout.
En ce soir du mardi 17 septembre 201X donc, je retrouve Amélie vêtue de mon corps derrière le lycée, au coin de verdure.
– Hey, lui lancé-je. Alors, comment ça s’est passé aujourd’hui ? Miss chewing-gum et son pote l’elfe t’ont pas embêtée ?
– Non, ils se sont vraiment calmés, me répond-elle d’une voix très peu joyeuse, contrairement à d’habitude.
Je remarque tout de suite que quelque chose ne va pas.
– Tu es sûre ? Ils n’ont rien fait de mal envers toi ? Tu n’as pas l’air très bien.
– C’est rien, t’en fais pas, me donne-t-elle pour seule réponse en prenant ma main afin de permuter.
Une fois retournée dans son corps, elle me regarde droit dans les yeux avec un air très sérieux, ce qui est plutôt rare chez elle. Je m’apprête à lui demander à nouveau si elle est certaine que tout va bien, mais elle réagit plus vite que moi.
– Dam’, il faut que je te dise un truc. Je veux qu’on arrête d’échanger nos corps, s’il-te-plaît.
Alors là, je ne comprends plus rien. Ça avait l’air de bien se passer pourtant. Qu’est-ce qu’il lui prend ?
– Hein ? Mais pourquoi ?
– J’ai... des affaires personnelles à régler, et j’ai besoin de mon apparence pour ça. Je suis désolée. On pourrait couper les ponts quelque temps, s’il-te-plaît ?
Mince, pourquoi maintenant ? Je vis ma vie à fond, sans me soucier du regard des autres, les gens ne se moquent pas de moi... Pourquoi maintenant ? D’un autre côté, je me dis que je n’ai pas le droit de lui refuser ça. Après tout, elle a accepté de faire tout ça pour moi, et je ne peux que la remercier et lui faire cette fleur.
– Bien sûr, réponds-je finalement en souriant. Merci infiniment pour tout ce que tu as fait pour moi. T’es la meilleure, Amel’.
Elle me rend mon sourire, et ça me fait vraiment plaisir de la voir comme ça. Comme d’habitude, en fait. Au naturel. Elle me fait la bise, puis me dit à bientôt et part en courant vers la sortie du lycée. J’ai l’impression que je ne vais pas la revoir avant longtemps. Un pressentiment, peut-être. Je reste cloué sur place quelques instants, sans faire un geste. Puis je finis par rejoindre le réfectoire pour prendre le repas du soir quotidien des internes. Et sans vraiment le faire exprès, je me rends compte que je ne fais que penser à Amélie. Je suis inquiet. Une fois l’heure de permanence obligatoire passée, je rejoins mon dortoir, et le soir, dans mon lit, je finis par me dire que je m’inquiète trop, et m’endors paisiblement.
Les jours qui suivent, je retrouve enfin les Pierrots, et me rends compte que mon amie a fait du bon boulot face au harcèlement. Plus personne ne me fait de remarques ni ne me lance d’insultes, et même Helena m’a gentiment adressé la parole pendant le cours d’anglais. Cependant, je ne croise Amélie dans aucun couloir, ne la vois jamais nulle part, et m’inquiète de plus en plus. Est-elle malade ? A-t-elle déménagé ? A-t-elle eu un accident ? Toutes les possibilités envisageables traversent mon esprit et m’embrouillent le cerveau comme pas possible. Enfin, le mercredi 25 septembre, je prends mon courage à deux mains et décide d’aller interroger une Éden. Je me dirige vers elle calmement, m’excuse, et finis par lui demander des nouvelles de mon amie. Elle me lance soudain un regard à la fois étonné et triste.
– Quoi, tu n’es pas au courant ? Personne ne t’a rien dit à son propos ?
– Euh, non... réponds-je en sentant l’angoisse d’entendre ce qu’elle va me dire monter en moi.
– J... je suis vraiment désolée de te l’apprendre, mais...
Elle commence à trembler légèrement, tandis que la terreur me gagne petit à petit.
– Dernièrement, elle commençait à se faire harceler sur les réseaux sociaux et par messages privés, parce qu’elle changeait de copain presque tous les jours... Les autres élèves ont commencé à mal la voir, et...
Cette fois, je vis une larme couler le long de sa joue.
– Elle s’est suicidée ce week-end...
Je suis égoïste. Beaucoup trop égoïste. Et j’en ai pris conscience bien trop tard. Alors que j’étais heureux dans sa peau, elle ne l’était même plus dans la sienne. Oui, si seulement je n’y avais jamais été... dans sa peau.
Mathilde Genot