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Bulletin de l'amicale (2021) - Clara Cellier, double gagnante

Index de l'article

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 21 image12Voici la nouvelle Poucoumiak Zao Fluiz Farshneister de Maurin Gilles

Prix de l'Amicale des Anciens 2020

Guy était un prénom qu'il n'était alors plus commun de donner à un enfant. Notre Guy voyait par ailleurs son appellation enjolivée par le nom de famille « de Brûlé », qui sonnait beau et faisait tou- jours une impression des plus admirables. L'histoire voulut seulement oublier que ce nom venait d'un lointain ancêtre qui, pris d'une folie passagère, suicida sa noblesse en même temps qu'il fit connaître à sa cour un destin igné.

Guy de Brûlé, à l'heure de l'histoire, se trouvait profiter des dernières heures de sa minorité . . . en cherchant du réconfort féminin dans ce que l'ère numérique avait à lui offrir. Au même instant, le frère de sa voisine se mariait, le futur dictateur de l'Angola naissait, des milliers d'hectares de forêt se faisaient raser, et la mère de notre héros préparait deux gâteaux au chocolat pour l'anniversaire de son fils. Guy descendit l'aider une demi-heure plus tard et croisa alors fortuitement son père qui arrivait à l'instant.

« Mon fils ! Mon petit garçon, devenu mon grand garçon, que voilà devenu un homme ! Bon anniversaire à toi mon grand ! »

Ledit homme fut gêné par ces viriles embrassades avec son paternel, lequel semblait éprouver toute la fierté du monde en regardant celui dont il se disait le créateur et l'éducateur. Il est difficile, pour qui n'en est pas un, de supposer ce qu'un père doit se dire à cet instant précis où il prend conscience que son enfant n'en est plus un, que le bonheur de sa vie va partir chercher le sien, que tous ces incroyables moments passés appartiennent au passé. Quoi qu'il se pût produire dans les pensées de monsieur de Brûlé, il était une chose plus indéniable encore qu'elle n'était limpide : la fierté de l'homme à la vue de son enfant grandi était si intense qu'elle pulvérisa son cœur gonflé, dont les éclats transparents tombèrent avec mélancolie, comme les larmes chaudes qui se formaient en cachette derrière ses grosses lunettes. Il chargea ensuite le garçon de dix-sept ans et trois-cent-soixante-quatre jours et demi d'aller leur chercher du fromage, tout bon repas digne de ce nom comportant, selon leur propre définition, un moment de dégustation fromagère entre le plat de résistance et le dessert. Le fils, en bon garçon de bonne famille, et ayant reçu une éducation tout aussi bonne, ne se fit prier que trois fois avant de s'exécuter. Il oublia ses clés et sortit sans refermer la porte.

Afin de finir au plus vite son court périple, il attrapa le vélo qui allait lui servir de moyen de locomotion pour les cinq minutes le sépa- rant de la fromagerie. Guy se fit suer à gravir la côte impitoyable qu'il lui fallait emprunter pour arriver jusqu'au petit village de Port-Sainte- Foy-et-Ponchapt, mais alors que son objectif se rapprochait à vue d'œil, son pied se délogea de la pédale, et le garçon s'envola dans les buis- sons du bord de route, tandis que son vélo dégringolait la pente qui le ramènerait vers sa maison. Le jeune homme, après une rude bataille bras contre branche, parvint à s'extirper de son ravisseur feuillu, et se retrouva en haut d'un monticule qui menait vers un ruisseau longeant le bord du chemin.

Dépossédé de son vélo, Guy laissa un sursaut de rage le posséder, et roula sur lui-même jusqu'au lieu d'une baignade imprévue. L'eau était bien plus froide qu'il ne l'avait supposé, et seul son manque d'énergie le fit rester dans son bain glacé. Une fois habitué à cette tempéra- ture groenlandaise, le phoque sommeillant en lui voulut plonger sa tête pour se sentir pleinement immergé dans l'agréable froid doucement réconfortant et risquant de le tuer par hypothermie. Il le fit. Dans l'eau, il ferma les yeux pour ne se concentrer que sur ses autres sens et profiter des sensations ironiquement relaxantes qui lui étaient offertes. Se noyant dans le bonheur, il sentit peu à peu le fond boueux remuer sous son dos. Intrigué, il se releva et constata avec horreur ce qui remuait à l'endroit de sa sieste.

Devant lui se dressait désormais une chose qu'il serait flatteur d'appeler créature et glorifiant de nommer monstre. Son corps était aussi fluide que fangeux que piquant qu'écailleux que translucide qu'invisible qu'opaque. Elle avait des visages qui ressemblaient à tout sauf à des visages, et tout un tas d'autres excroissances ressemblant plus à des visages qu'à quoi que ce soit d'imaginable. Elle était d'un multicolore fade et sale, des mélanges hétérogènes de bleu jaunâtre et de rouge verdâtre coulaient et s'agglutinaient en caillots avec une telle incohérence que de nouvelles couleurs plus immondes et plus discordantes étaient créées. Elle était assez grosse pour que son atrocité ne puisse être évitée du regard, et assez petite pour que son abomination soit vue dans son épouvantable ensemble. Même l'odeur pestilentielle qu'elle dégageait était entièrement effacée, tant son physique, qui était sans doute mortel au sens le plus premier du mot, prenait le dessus sur tout l'univers lui tournant autour. Guy s'écroula, à la merci de l'évanouissement, et ferma les yeux pour survivre, quand il entendit une voix douce et mélo- dieuse s'adresser à lui comme le firent les sirènes à Ulysse :

« Bon anniversaire mon garçon ! Je vois en toi une âme pure et des ambitions louables, que dis-tu de cela : je t'offre trois vœux, comme mon pouvoir me le permet. »

Le quasi-majeur, qui était un être humain normal, voulut dans un premier temps lui poser une infinité de questions. Puis son instinct intervint et lui fit se dire qu'une chose aussi inconcevablement ignoble ne pouvait pas mentir. Satisfait de ce raisonnement d'une logique indiscutable, il demanda plutôt au prétendu génie :

  • Merci, c'est très gentil. Quelles sont les conditions générales d'utilisation et autres modalités de l'offre ?
  • Oh, une seule chose : un vœu ne te permet pas d'en demander plus. Seulement, évite si possible les pouvoirs susceptibles de créer des paradoxes en tout genre. Je m'en voudrais de faire connaître à l'univers une erreur système à cause d'un petit humain se croyant au-dessus des lois fondamentales. À part cela, je suis beaucoup moins restrictif que les autres génies : si tu me demandes le futur, la mort de quelqu'un, la résurrection de ce dernier, ou Green Lantern 2, je le ferai.

Le marché ayant l'air des plus honnêtes, Guy commença à réfléchir à son premier vœu. Instinctivement, il envisagea une richesse éternelle, mais les leçons apprises dans les livres et les films lui revinrent, et il choisit alors de demander ce qui était, selon ces mêmes films et mêmes livres, la seule et réelle clé du bonheur :

  • Ô génie, mon premier souhait est que tu me donnes l'amour. Je veux vivre l'amour le plus sincère et le plus réel qui soit, un amour parfait.
  • Aucun problème, seulement la convention veut que tu prononces mon nom en guise de sort magique…
  • Et quel est ton nom, ô génie ?
  • Déjà, arrête de m'appeler « ô génie », c'est flippant. Ensuite, mon nom est Poucoumiak Zao Fluiz Farshneister.
  • Heu, poucoumiactaozaflufarster ?
  • C'en est presque vexant mais je m'en contenterai. Voilà ton premier vœu exaucé !

À ces mots, Poucoumiak disparut et Guy se retrouva seul, trempé et frigorifié. À peine avait-il commencé à se questionner quant à la possible anormalité de ce qui venait de lui arriver, qu'il vit une nouvelle silhouette dans l'eau. Elle sortit soudainement, dévoilant aux yeux du garçon la chose la plus belle qu'il avait jamais vue. Bien que la nudité d'une femme en elle-même eût été un motif suffisant pour être la plus belle chose qu'il eût jamais vue, il fallut que celle-ci corresponde à l'harmonie parfaite entre son idéal féminin et ses fantasmes libidinaux : rousse avec une très forte poitrine. Celui dont le teint virait au rouge cerise se dit que le génie y était allé un peu fort, et le remercia grande- ment pour cela.

Après avoir perdu sa virginité dans le ruisseau dont il ne percevait plus la froideur, il décida de faire connaissance avec celle qui venait de lui faire passer quarante fabuleuses secondes. Ils parlaient, et plus il la découvrait, plus Guy était conquis, tant cette femme faite sur mesure lui convenait parfaitement. Il était absolument captivé : chaque action, chaque parole, chaque geste anodin, chaque ondulation de ses cheveux, chaque inspiration, chaque division des cellules de sa peau, tout était fait de façon à charmer le garçon. Ce dernier était alors déjà fou amoureux d'un idéal dont il ne connaissait le nom, mais pour lequel il aurait déjà été prêt à sacrifier ses biens, sa vie, et peut-être même ses deux derniers vœux.

Ils parlèrent longtemps, si longtemps que la nuit tomba, et le garçon devint majeur sans s'en rendre compte. N'osant rentrer chez lui, et voulant ne plus jamais se séparer de la femme de sa vie, il décida de l'inviter à s'enfuir avec lui. « Oh oui ! lui répondit-elle. J'ai une idée, faisons un tour du monde ! » Aussitôt l'idée fut-elle évoquée que les deux partirent en courant attraper le premier avion, ne se souciant pas de sa destination.

Leur épopée entre amoureux dura quatre ans. Pendant ces seize saisons, ils visitèrent tous les pays connus, rencontrèrent toutes les cultures, mangèrent de tous les plats, photographièrent les Sept Merveilles du monde, se baignèrent dans l'eau de toutes les mers, skièrent sur toutes les montagnes, contemplèrent tous les ciels étoilés, virent tout ce qu'il y a de beau dans le monde, et s'unirent à chacun de ces endroits. Ils s'aimaient toutes les nuits et dès qu'ils le pouvaient, dans tous les sens et en toutes circonstances, dans les étoiles comme sur des oreillers.

Les deux premières années leur amour ne faisait que croître, chaque seconde qu'ils partageaient était plus savoureuse que la précédente. Guy avait totalement oublié sa famille, qu'il avait abandonnée le jour de son anniversaire, et commençait même à oublier celui qui lui avait permis de connaître cet amour. La seule chose qui lui importait encore était celle aux côtés de qui il passait ses journées. La personnalité de cette fille était pleine de rebondissements et semblait changer, parfois du tout au tout, en fonction de l'humeur de son partenaire. Le jeune homme ne pouvait plus se passer de sa moitié, qui avait en lui une proportion bien plus importante qu'une simple moitié. Seulement, les deux dernières années, la courbe s'inversa. Ils s'ennuyaient à voir de nouvelles choses, ne rencontraient plus personne qui les intéressât et leur amour ne se renouvelait plus aussi bien qu'avant. Ils ne dormaient ensemble plus que trois nuits par semaine, puis deux, puis une, puis péchèrent par adultère. Un jour qu'ils grimpaient l'Everest, Guy entendit son amie l'appeler : « Il faut que je te parle. »

L'amour sincère ne peut qu'être passager, l'amour réel, aussi intense puisse-t-il être au début, finit toujours par s'estomper. Ce sont les conclusions que le nouveau célibataire était en train de tirer, seul au sommet de la montagne. Soudainement, il ne comprenait plus les raisons de son existence, et la falaise qu'il voyait en face lui semblait finalement être une échappatoire sensée aux malheurs qui allaient l'accabler, et auxquels il voulait obvier tant qu'il se sentait maître de ses actions, refusant de se laisser accabler par les peines de la dépression. Il s'approcha lentement, et alors qu'il n'était plus qu'à un pas de mettre un pied dans la tombe, il lui sembla écraser quelque chose de visqueux, dont la sensation sous le pied était si dégoûtante qu'il n'osa pas regarder sur quoi il avait marché. Néanmoins, il devinait le gluant détritus se dresser derrière lui, et la simple aura vomitive qui s'en échappait lui fit comprendre que la source devait être trop immonde pour ne pas être son génie.

  • Tu ne t'apprêtais quand même pas à te suicider en n'ayant utilisé qu'un seul de mes trois vœux, rassure-moi ?
  • C'est bête, je sais, mais je n'ai plus rien à demander, je suis déjà mort.
  • Si tu étais mort, tu ne serais pas là à me parler. Tu es encore vivant, et avec deux vœux te permettant de faire absolument n'importe quoi, je ne te crois pas assez idiot pour gâcher cette chance.
  • Tu as raison… Le bonheur est une quête inutile, je l'ai compris. Ne vouloir qu'une joie simplette était stupide en plus d'être égoïste. Génie, je sais quel est mon deuxième vœu : je veux que la planète soit sauvée, que nous puissions vivre dans un monde écologiquement stable.
  • Et le mot magique ?
  • Poucoumiacozowaflufarnesteirsh.
  • De pire en pire ! Estime-toi heureux que j'exauce ton souhait, petit veinard.

À peine le génie eut-il prononcé ces mots qu'une grande lumière blanche recouvrit le ciel, puis disparut presque instantanément. Guy se hâta de descendre de son mont, afin d'observer les conséquences de sa bonne action. Il ne trouva presque personne dans les villages sur son chemin, et finit par entrer dans un bar vide. La télévision était allumée et la chaîne d'informations nationale répondit au sauveur de la planète, lui apprenant en temps réel ce qui se passait à échelle mondiale :

« À l'heure actuelle, nous comptons déjà plusieurs millions de disparitions partout dans le monde, et bien qu'aucun cadavre n'ait encore été trouvé, il semblerait que près des deux tiers de l'humanité se soient comme volatilisés. »

La seule chose plus grande que l'horreur éprouvée à ce moment par ce christ génocidaire était la fascination de ce dernier face au pouvoir de Poucoumiak. Il eut un frisson : cet être hideux était doté de capacités littéralement divines. Son frisson se prolongea quand il réalisa l'ampleur de ce qui arrivait au monde.

Quand on apprend que l'on vient de supprimer dans les environs de quatre milliards d'êtres humains, il n'est pas chose aisée de prendre conscience de ce que cela représente. Pour vous aider, figurez-vous qu'il s'agit, à quelques mois près, du nombre de secondes dans cent-vingtsept ans. Voilà plus ou moins le nombre de vies que Guy a ôtées en une seconde.

Le garçon était donc perplexe quant à son geste, mais il comprit très vite que si cela était arrivé, ce n'était pas parce qu'il avait demandé au génie d'exterminer une grosse moitié des humains, mais au contraire car il avait demandé à sauver le monde. En y resongeant, il lui paraissait évident que ce sacrifice était effectivement nécessaire pour que la vie sur Terre soit préservée. Il en conclut donc qu'il était en fait le plus grand bienfaiteur de tous les temps, et qu'en déclarant publiquement être l'auteur de cette apocalypse, il serait adulé en sauveur par tous. Il s'illusionnait quant au bon sens de ses congénères, et quand il fut identifié comme coupable, on l'emmena à Paris pour être jugé. La peine de mort semblait être le minimum envisageable pour pareil assassin, et on décida de le tuer aux yeux de tous, par décapitation afin de rendre distrayant le spectacle, sur une place avec un grand obélisque, non loin des Champs-Élysées. Tout s'était passé si vite que le condamné n'avait pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Il avait utilisé son second souhait pour sauvegarder le monde, et il se retrouvait soudaine- ment accusé d'être le plus grand criminel de l'Histoire et prêt à rejoindre les portes du paradis, qui devaient encore être un peu encombrées depuis son généreux génocide.

Ce n'est qu'une fois sur l'échafaud de sa punition, alors que la tête et la vie d'un pauvre jeune homme comme tant d'autres allaient être injustement coupées, que celui qui ne voulait qu'aider comprit. Il comprit que les livres et les films lui avaient menti. Les plaisirs simples et la gentillesse n'ont rien à apporter. L'enfer, c'est les autres, et compter sur eux pour faire son bonheur est à peine moins absurde que de vouloir faire plaisir à d'autres gens que soi. Ces films et livres n'étaient que de la propagande, du lavage de cerveau pour détourner les enfants de la vérité : il n'y a rien à attendre de ce qui ne vient pas de soi. Gaspiller ses deux premiers vœux était une erreur : les gens nous veulent du mal quand on les aime ou c'est encore pire quand on les aide. Le seul réel accès au bonheur et aux plaisirs de la vie s'obtient grâce à nous-mêmes, les autres ne peuvent que servir d'outils pour notre satisfaction personnelle, ou alors nous utiliser comme objet pour la leur.

Lorsqu'il reçut cette éblouissante révélation, il se sentit soudainement doté d'une clairvoyance absolue. Il regarda les petits hommes s'agiter en bas de son estrade, et sourit en les imaginant devenir ses esclaves. Avoir tout ce monde juste pour le servir est infiniment plus intéres- sant que de n'avoir qu'une poignée de gens l'aidant par affection, comprit-il.

« Génie, viens, j'ai mon troisième vœu. » Aussitôt une forme baveuse, filandreuse, gélatineuse, poudreuse et spongieuse sortit du plancher. Elle se mit dans une position évoquant celle d'une boule de glace tombée sur le sol, tandis qu'une sorte de mucus de la couleur de la lèpre s'échappait par tous les pores de ce qui lui servait de corps, puis dégoulinait, formant autour du génie une flaque molle aux grumeaux fluorescents. Guy regarda l'abomination, supportant sa vue, et lui adressa un sourire complice.

  • Tu m'as l'air d'avoir grandement mûri depuis notre dernière rencontre, il t'est arrivé quelque chose ?
  • Oui, et c'est par votre faute. Ou alors c'est grâce à vous. Je ne sais pas quelle formule convient le mieux.
  • Tu me flattes ! Et alors, quel est ton dernier vœu ?
  • Fais-moi maître du monde. Rends mon pouvoir infini, ma grandeur inestimable et ma souveraineté totale. Je veux que tous les êtres de cette planète deviennent mes asservis sujets, que nul ne se sente assez téméraire pour oser me défier, qu'aucun ne se croie assez brave pour me résister, que personne ne se pense assez fou pour prononcer mon nom. Que tous les pays du monde deviennent ma propriété, mon terrain de chasse, ma suite parentale, le coussin de mon sofa. Que chaque individu devienne une de mes peluches, une poupée vaudou, un pion de mon échiquier, de mon jeu de dames, de mon jeu de go. Que ma vie soit longue, et que mon règne le soit encore plus. Que dans mille ans ce siècle soit appelé « l'Époque brûlésienne », et que l'on s'en souvienne comme la plus grande phase de terreur de l'humanité, et comme la seule fois cette dernière s'est vue unie sous la domination d'un seul et unique Empereur de la Terre. Je veux que mon statut soit plus celui d'un dieu tyrannique que celui d'un tyran de droit divin.
  • Voilà une requête qu'il me plaît d'exaucer. Et on dit ?
  • Pacomiactazofluzisfarnitaster.
  • J'espérais que tu réussirais au moins une fois… Enfin, voilà ton souhait exaucé, ô Empereur Suprême de Brûlé. C'était ton dernie souhait, désormais nous ne nous reverrons plus jamais, mais sache que ce fut un plaisir de jouer avec toi. Amuse-toi bien !

Le génie disparut pour de bon, et quand Guy releva la tête, les gens qui, une minute auparavant, s'apprêtaient à fêter son exécution étaient désormais agenouillés face à lui, dans l'attente de ses ordres, n'osant faire le moindre geste de peur de se faire tuer par leur roi. Celui-ci se leva et regarda son peuple avec une joie fortement teintée d'un méprisant dégoût.

« Ô misérables êtres à la vie sans aucune importance et dénués de tout pouvoir, vous dont je vais devoir me contenter comme peuple assujetti, j'espère que vous réalisez la chance qui vous est donnée de pouvoir être directement exploités par votre seigneur en personne. J'interdis tout ce qui ne me plaît pas, et ne vous autorise qu'à exister dans le but de m'obéir. Je désire avoir le temps de me divertir, et j'exige que l'on me divertisse. Faites tout. »

Le roi Guy de Brûlé mourut à quatre-vingt-onze ans, et tous ceux qui vécurent sous sa domination virent l'enfer comme un secours reposant. Guy, quant à lui, eut une vie comblée de passions et d'amusements. Il fit tout ce qu'il voulut, il n'avait qu'à demander quelque chose pour que l'on le lui procure et si rien n'était trouvé, alors les plus grands experts le lui créaient. Il goûta aux plaisirs ludiques, gastronomiques, charnels et festifs en quantités abondantes, et ne put jamais s'en lasser. Il vécut heureux.

Il y a une morale à cette histoire, mais elle n'est pas celle que vous croyez. Vous vous attendiez à une leçon de bonté, et voilà que je fais devant vous une apologie de la dictature, que je dénonce l'amour et l'altruisme, déclare qu'autrui n'apporte que malheur, cite Sartre au pre- mier degré. Je ne partage pas mon opinion, toutefois voyez comme je justifie ce qui semble opposé à toute morale : il suffit d'un conte orga- nisant les idées dans un ordre laissant croire à une évolution plausible, et je dis ce que l'on ne tolèrerait que je dise. Selon le point de vue, les notions de bien ou de mal trahissent leur subjectivité, s'inversant. Tout ce qui est dit peut être contredit, tout ce qui est argumenté peut être contre-argumenté. Tout est discutable, quand on prend le temps d'en discuter.

Maurin Gilles

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Exode poétique

Poème, sois mon vaisseau
Fends la bise, défie la mer
Égée Et laisse-moi naviguer
Sur l’Odyssée des mots

Emmène-moi loin de l’angoisse
Vers un pays de l’exotisme
Un domaine de l’érotisme
Une Asie du fantasme

Conte-moi l’essence des poésies
Terres d’ocre et de feu
Monts éclatants et infinis
Larges étangs et vastes cieux
Poème, sois mon vaisseau
Inonde ma raison le temps d’un mot
Fais de ma vie un songe impérissable
Poème, enivre-moi d’idéal

Clara Cellier

Prix Graines de poètes 2020

Le voyageur céleste

Égaré une fois de plus dans la ville,
J'observe les passants qui marchent et défilent.
De leurs visages je ne  saisis que la nuit,
Mais sous chacun des pas il n'y a que lui,
Éternel espoir dans les échos du pavé,
Mémoire chantant les sourires du passé.
Assis, mes rêves coulent sur le papier,
Las de l'entendre je voudrais lui parler.
Alors, pour ne plus l'imaginer je me lève,
Dès lors, il faut pour discuter que je m'élève.
Sur le chemin du Mont, je pense à ce qu'il est,
Un voyageur du monde, un marcheur des chemins,
Un coureur de jupons, un chanteur des sentiers,
Un libre dans l'immonde, avide de destin.
Tout juste arrivé au plus près des cieux,
Des espérances perlent sur mes yeux.
Je le rêve, vagabondant dans les nuages,
Cette fois parti pour son ultime voyage,
J'espère qu'il découvre de nouveaux paysages,
Et qu'il est heureux dans ce céleste pays sage.
De lui je retiens le goût de la découverte,
Certaines choses me dégoûtent certes,
Comme être pour toujours à sa vaine poursuite,
M'émerveillent aussi, d'un jour voir la suite...
Nuit est , triste lune mène mes pensées,
Et alors je me recouvrede mes maux...
Un sourire sous mes larmes vient se figer,
Grand-père, je nous vois bien danser dans ces mots

Séverin Lebreton prix de poésie 2020Amicale des Anciens